lundi 15 décembre 2008

L'entrevue - Au chevet de l'homme australien


En Australie comme chez nous, les hommes sollicitent moins les services de santé, meurent plus jeunes et sont beaucoup plus nombreux que les femmes à se suicider. Devant ce problème persistant, le gouvernement a décidé d'agir et travaille à une première politique nationale sur la santé des hommes. Entretien avec l'un de ses artisans.

Québec -- «Si vous organisez une fête et que les gens ne s'y présentent pas, pensez-vous que ce sont eux qu'il faut blâmer?» Le chercheur australien John MacDonald aime bien répéter cette formule pour justifier son combat en faveur d'une politique sur la santé masculine. «Il y a cinq hommes par jour qui se tuent en Australie. Cinq hommes, une femme. Cinq. Tous les jours. On a dû faire toute une campagne pour convaincre le gouvernement de faire quelque chose.»

John MacDonald ne mâche pas ses mots. Jouant sur la parenté formelle entre les termes males et whales en anglais, il dit que, si on recensait autant de décès chez les baleines, les gens seraient prêts à se mobiliser pour les repousser vers la mer.

«Est-ce que les hommes se suicident seulement parce qu'ils sont irresponsables, qu'ils boivent trop? On a tendance à toujours les blâmer. Mais peut-être qu'il y a aussi des choses dans la société qui nuisent à la santé des hommes.»

De passage à l'Université Laval cet automne, le professeur de l'Université de Western Australia nous a accordé une entrevue sur les progrès accomplis dans son pays. À titre de président du lobby Australian Men's Health Forum, M. MacDonald a milité pendant des années pour qu'on s'attaque à ce problème. «Quand j'ai commencé, il y a dix ans, on me soupçonnait de vouloir prendre de l'argent aux femmes. Absolument pas! Ce n'est pas une compétition.»

Après des années d'efforts, le gouvernement travailliste a finalement décidé de mettre sur pied une politique en ce sens. «On espère qu'elle sera prête l'été prochain», a-t-il dit lors d'un entretien à la fin d'octobre. Quelques semaines plus tard, la ministre de la Santé Nicola Roxon le nommait membre du groupe d'ambassadeurs de la consultation nationale qui doit mener à une telle politique. On prévoit déjà qu'une politique axée sur la santé des femmes suivra la politique nationale sur la santé des hommes. «Les deux, promet-on, seront fondées sur le principe que le sexe est un déterminant clé de l'état de santé.»

Or, pour l'instant, l'objectif est d'améliorer l'accès des hommes aux services de santé. «Que vous soyez jeune ou vieux, célibataire ou marié, à la ville ou à la campagne, le gouvernement veut connaître l'opinion des hommes australiens pour rendre cette politique forte, robuste et effective», plaide le gouvernement dans un communiqué diffusé il y a quelques semaines. En parlant de «robustesse», pense-t-on rassurer ceux qui craignent qu'on mette en doute leur virilité en parlant de leur santé? Les Australiens ne sont pas les premiers à le faire. Au Québec, le Centre de prévention du suicide a déjà lancé une campagne intitulée «Demander de l'aide, c'est fort!».

Différences et préjugés
Sans sombrer dans les préjugés, John MacDonald croit que les hommes ont besoin qu'on leur parle d'une certaine façon. C'est dans cet esprit que le gouvernement australien finance des services téléphoniques conçus spécialement pour les hommes en crise (Mensline). «Ce qui est important, c'est l'attitude. Autrefois, quand un type téléphonait [dans un centre de crise régulier], on lui demandait: "Comment vous sentez-vous?" Les hommes appelaient peu et quand ils le faisaient, on leur posait les mauvaises questions. Au lieu de reprocher aux hommes de cacher leurs émotions, on va leur dire: "Oui, c'est très difficile. On va vous donner un peu d'aide pour passer au travers de cette nuit." Les hommes ont un contact avec leurs émotions, mais de façon différente.»

Toutefois, entre la reconnaissance des différences et les préjugés, où faut-il tracer la ligne? Le professeur compte beaucoup sur la recherche. «Sans politique, on va rester coincés avec des programmes fondés sur des opinions et non sur des données probantes. L'idée, c'est que la politique mène à une enquête nationale. Sans méchanceté, dans le cas des femmes, il y a une enquête de ce genre depuis huit ans, et c'est fantastique. On les suit à chaque étape de leur vie, de l'adolescence à la vieillesse. Mais du côté des hommes, qu'est-ce qu'on a? Pour des raisons évidentes, on parle de violence par les hommes, ce qui est un problème réel, mais c'est seulement une partie de la réalité.»

Le gouvernement de l'Australie estime que l'espérance de vie chez les hommes australiens est de près de cinq ans inférieure à celle des femmes. Ils courent trois fois plus de risques de mourir d'une maladie cardiovasculaire, sont davantage touchés par le sida, l'emphysème et les maladies du foie. Surtout, 78 % des suicides sont de main d'hommes.

La situation alarmante des hommes autochtones a aussi contribué à sensibiliser les Australiens au problème. Leur espérance de vie (59 ans en moyenne) est de 17 ans inférieure à celle des Blancs. L'alcoolisme fait des ravages et, ces dernières années, leur santé s'est beaucoup moins améliorée que celle des femmes autochtones.

Les réticences de nombreux hommes à demander de l'aide ne sont pas innées, ajoute le chercheur australien. «Il faut normaliser le "check-up" annuel chez le médecin comme on a normalisé les mammographies pour le cancer du sein, par exemple. À l'époque de ma mère, c'était impensable de parler de seins aussi ouvertement et aujourd'hui c'est courant.»

Les collègues québécois de M. MacDonald sont fascinés par l'expérience australienne. Chercheur au sein de l'équipe Masculinités et société de l'Université Laval, Gilles Tremblay estime qu'à la différence des Québécois, les Australiens ont été capables d'aborder le sujet en transcendant les guerres de sexes.

Un rapport mis au rancart
On l'a presque oublié, mais le Québec avait fait un pas dans cette direction au début du premier gouvernement Charest. Le ministre Philippe Couillard avait alors lancé une consultation sur le sujet, qui avait débouché en 2004 sur le rapport Rondeau, du nom du professeur Gilles Rondeau de l'Université de Montréal. «Au cours des dernières années, plusieurs des membres du Comité ont eu l'impression que la réalité personnelle et sociale des hommes avait été analysée sous l'angle des problèmes qu'elle causait plutôt que sous celui des solutions qu'elle nécessitait», concluaient les auteurs du rapport, qui recommandaient qu'on finance des recherches et que «la prestation des services offerts par le réseau de la santé [...] soit mieux adaptée aux besoins de la clientèle masculine».

M. Tremblay faisait partie du comité de travail. Avec le recul, il ne se gêne pas pour dire que le rapport a été mis au rancart. «Ici, contrairement à l'Australie, on est restés dans une guerre de sexes», déplore-t-il.

Mais au-delà des polémiques, l'exemple australien se démarque aussi par la simplicité des moyens employés pour agir. Le démontre ce réseau de «cabanes pour hommes» (men's sheds) dans lesquelles des messieurs de tous les âges se rassemblent pour bricoler, prendre un café, bavarder. Dans les contrées reculées du vaste territoire australien, cette solution de rechange à la taverne a fait des miracles et contribue à briser l'isolement de nombreux retraités.

«Le café devrait être pris au sérieux dans une cabane d'hommes», résume-t-on dans une présentation du réseau disponible sur le Web. «Les hommes reconnaissent vite la valeur de la camaraderie et de la possibilité de discuter de leurs problèmes ouvertement avec les autres. Le café est un catalyseur.» Les rénovations de la cabane sont le point de départ de l'activité. Les immeubles choisis sont souvent en piteux état (des maisons à l'abandon, de vieilles roulottes, d'anciens wagons de trains!) et, apparemment, plus le défi est grand, mieux c'est.

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